Personne n’a faim

L’autre jour j’étais dans le bus, un homme assis en face de moi discutait, à haute voix, avec tous les passagers.

La propagande
Fanfaron, il déclamait que malgré les sanctions occidentales nous n’avions pas à nous inquiéter, que les Russes vivaient normalement, aussi bien, si ce n’est mieux, qu’en Europe, que personne dans notre pays avait faim.
Je l’ai écouté sans broncher mais je n’ai pu me retenir lorsque ce bruyant personnage affirma qu’il n’y avait pas de problème de faim en Russie.
Je lui ai tendu la carte de Nochlechka l’invitant à venir, à connaitre la réalité des sans-papiers sans-abris.
Evidemment il n’a pas répondu à l’invitation.
Dommage, il aurait rencontré Natalya Ivanova, nous raconte Daria Baibakova, directrice de Nochlechka Moscou.

Natalya Ivanovna
Nous avons rencontré Natalya Ivanova dans les locaux de Nochlechka où elle a trouvé refuge.
Je suis née dans la région de Riazan, nous dit-elle.
J’ai déménagé à Norilsk pour travailler dans la distribution, m’y suis mariée et eu un fils.
Il est décédé en bas-âge, de plus le chômage a frappé toute la région lors de la chute de l’URSS.
En 1996, nous sommes partis à Moscou. Nous y avons bien vécu.

J’ai toujours gardé mon passeport soviétique, personne ne m’a demandé de le changer, ni le propriétaire de la chambre que nous louions, ni mes employeurs.

La dégringolade
En 2019, mon mari décède et à partir de ce moment-là, tous mes ennuis ont commencé.
Il n’y a plus assez d’argent pour le logement. Pendant près de trois ans, Natalya Ivanovna vit au jour le jour, ou presque.
En journée, Natalya travaille soit comme vendeuse, soit comme concierge, soit encore comme contrôleuse dans un bus. Et la nuit, elle la passe dans un des rares abris de nuit étatiques pour les sans-abris.
Si la journée s’avère fériée, elle reste assise, au chaud, dans les centres commerciaux.

La tyrannie administrative
Ma santé a commencé à décliner et l’obligation d’avoir une identité russe devenait, soudainement, indispensable. Entre autres pour se faire soigner.
Une organisation d’entraide a essayé de m’aider à collecter un paquet de documents pour changer de passeport, du soviétique au russe, souligne Natalya Ivanova.
Si vous saviez à quel point la bureaucratie peut être humiliante dans ce processus. Vous devez collecter un tas de documents, trouver des témoins, passer par une procédure d’identification, etc, etc. Cela prend des mois et des mois.

Sans papier…
Sans cette propiska, soudainement, je n’ai plus me réfugier dans l’abris de nuit et me suis retrouvée à la rue. Plus de travail non plus, toujours à cause de l’absence de papier.
Tout d’un coup, plus personne n’acceptait mon identité soviétique.
J’ai su ce que c’était d’avoir vraiment faim, lorsque vos entrailles se tordent de douleur, lorsque vous n’avez plus de force pour vous mouvoir, lorsque vous êtes prête à avaler presque n’importe quoi.
La faim c’est terrible.

L’espoir
Natalya Ivanovna est arrivée à Nochlechka fin 2021.
Avec l’aide de l’assistante sociale, Masha Muradova, nous avons installé Natalya Ivanovna dans une auberge.
A l’époque, nous n’avions pas encore d’hébergement dans notre Centre d’Accueil. Notre avocat a poursuivi le labeur entrepris précédemment pour obtenir cette fameuse identité russe.
Mais aussi permettre que Natalya puisse accéder aux soins et recevoir une pension.
Entre temps, grâce au papier d’identité fournit par Nochlechka, Natalya Ivanovna a pu retrouver un travail comme concierge.
A ses moments de libre, Natalya Ivanovna rencontre notre psychologue, passe des visites médicales, se soigne et récupère, enfin, les documents donnant accès à la caisse de retraite.

Vous auriez dû venir
Cher passager bavard, oui dommage que vous n’ayez pas rencontré Natalya Ivanovna, vous auriez appris que tout n’est pas rose en Russie, en occident non plus d’ailleurs.
Pour le moins, à l’Ouest, en général, l’Etat prend soin, un peu, de ses sans-abris.

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