Le concept Milonow.
Vitaly Milonow, parlementaire à la Douma, est connu internationalement pour sa loi fustigeant l’homosexualité.
Aujourd’hui, Vitaly Milonow propose un concept pour résoudre le problème du sans-abrisme en Russie et plus particulièrement à Saint-Pétersbourg, sa ville natale, où plus de 60’000 personnes survivent dans la rue.
Son projet : rouvrir d’anciens Kolkhozes abandonnés où des dortoirs seraient construits et les sans-abri déplacés en ces lieux où ils y travailleraient. Milonow précise que ces camps seraient contrôlés par des spécialistes du ministère de la santé, ce qui permettrait aussi un suivi médical, des vaccinations mensuelles.
Le 29 mai dernier, à Saint-Pétersbourg, Monsieur Milonow a accordé une interview exclusive à NSS afin de préciser son dessein.
Le parlementaire nous reçoit dans son bureau sous le portrait d’un Vladimir Mikhailovich Gundyayev au regard sévère, patriarche de Moscou et de toute la Russie, primat de l’Église orthodoxe russe. Des icones décorent aussi les murs des lieus et sur le bureau, où s’entassent pêle-mêle quantités de dossiers, surnagent une bible et une église russe miniature d’un bois sombre.
La présence de ces signes religieux ne tient pas du hasard. En effet, Vitaly Milonow ne cache pas que son action politique est fortement influencée par la religion orthodoxe en plein renouveau dans la Russie de Vladimir Poutine.
Un peu comme à l’hôtel
NSS : Monsieur le député, le 19 août 2013 vous informiez le public que vous alliez proposer à vos collègues du parlement un projet de créer, loin de toute agglomération, des camps de travail pour les sans-abri, pouvez-vous nous dire où en est ce projet ?
V.M. : Premièrement: je ne peux, en aucun cas, prétendre au rôle de porte-parole du pouvoir exécutif, je suis député. Je propose des idées. Mais je ne peux les réaliser.
Concernant le sans-abrisme, j’offre une approche globale pour résoudre ce problème en partant du principe chrétien qu’un homme ne doit pas dormir dans la rue, un sans-abri ne doit pas mourir de froid, des enfants et des personnes âgées ne doivent pas être livrés à eux-mêmes.
A Saint-Pétersbourg, il existe des sans-abris de différents types. Par exemple les personnes qui perdent leur logis par cause de certains défauts dans la loi d’enregistrement. Ce ne sont pas des vrais sans-abri. A ces gens-là, les centres que je propose donnent une possibilité de trouver un toit et un travail. En habitant dans ces endroits et en gagnant un certain salaire, ces gens auraient la possibilité de retrouver, par la suite, une vie normale, de se réinsérer. Les gens y habiteraient un peu comme à l’hôtel.
NSS : Vous parlez de ces camps, de ces centres. De quelle manière s’organiseraient-ils? Sur quels critères les gens seront-ils choisis pour y aller?
V.M. : Tout le monde qui est à la rue doit y aller. Il faut partir du principe que les gens ne doivent pas vivre dans la rue.
NSS Dans ce tout le monde vous y incluez aussi les orphelins ? Ces adolescents qui sortent des orphelinats et qui à 80% se retrouvent à la rue sans-papier ?
V.M. : Ils reçoivent tous un logement à la sortie de l’orphelinat.
NSS Selon plusieurs enquêtes ce n’est pas le cas : les orphelins doivent attendre pour le moins 3 ans pour recevoir un logement depuis leur sortie d’internat. C’est aussi un problème.
V.M. :C’est vrai que cela existe mais d’après mon expérience personnelle, je peux dire qu’ils ne sont pas nombreux à devoir attendre 3 ans.
NSS : Votre projet concerne donc tout le monde: les enfants en bas âge sans abris et les personnes âgées également?
V.M. : Les enfants en bas âge sans abris, il ne faut même pas leur demander. Tout le monde je vous ai dit.
NSS : Comment allez-vous amener ces sans-abris à vos centres ? Par la voie coercitive ? Les gens pourront-ils choisir ? Que se passera-t-il si une personne ne veut pas?
V.M. : Et qu’est qu’elle veut?
Comme chrétien je n’ai pas le droit de fermer les yeux
V.M. : Je ne sais pas ce qui est le mieux : avoir le droit à la liberté qui se termine avec une gangrène sur la jambe, abandonné dans une cave, ou une liberté limitée où l’on est pris en charge ?
V.M. : Comme chrétien, en visitant les maisons de nuit, (centres d’accueil organisés par la ville) et participant bénévolement à des actions d’entraide, je n’ai pas le droit de fermer les yeux. Si quelques-uns de mes camarades de parti (Monsieur Milonow est membre du parti Russie Unie de Vladimir Poutine) pensent que mes idées ne sont pas assez bonnes, je serais ravi qu”ils en proposent de meilleures.
Mais quelqu’un doit les proposer.
A Saint-Pétersbourg, les sans abris ont la vie très dure, la mortalité y est très élevée. (L’espérance de vie dans les rues pétersbourgeoise atteint un peu plus de quatre ans) Il faut les déplacer aux endroits où manque la main-d’œuvre, aux endroits loin de toute tentation de la mégalopole.
NSS : Quelle sera la structure de ces centres, qui va se charger de les administrer ?
V.M. : Je pense qu’on peut réaliser ce projet en se basant sur les mécanismes de partenariat public-privé. Dans tout les cas, nous partons du point de vue que les rues de Saint-Pétersbourg doivent être libres de sans abris pour leur bien-être et celui des autres habitants.
NSS : Est-ce qu’une formation professionnelle va-t-être organisée ? Une aide est-elle prévue pour que ces sans-logis retrouvent leurs papiers d’identité?
V.M. : Bien-sûr. Mais la sottise et l’impasse de la situation actuelle est de faire croire que les sans-abri pétersbourgeois, après des années d’attente, peuvent s’inscrire sur une liste afin d’obtenir un logement gratuit. C’est un rêve inatteignable parce qu’ils ne vivent pas jusqu’à ce moment.
NSS : Combien de temps resteront-ils dans vos centres?
V.M. : Selon mon concept, je pense qu’on peut leur offrir 6 mois.
NSS : Si votre conception devait être acceptée ne faudra-t-il pas changer la législation? Car aujourd’hui les sans-abris ne sont plus considérés comme des malandrins, comment les déplacer contre leur gré ?
Le sans-abri, comme le malade vénérien
V.M. : Mes centres ne sont pas de futures prisons. Les sans-abris ne sont pas des criminels. Les envoyer dans ces centres ne serait même pas une violation de régime administratif. C’est la situation présente qui entrainerait ces conséquences administratives (déplacement) de caractère non répressif. Vous m’excusez, c’est comme le malade vénérien qui n’est pas coupable d’avoir attrapé cette maladie contagieuse ou une autre maladie comme le typhus.
La personne qui a attrapé une maladie épidémique n’est pas responsable d’être malade. Mais personne ne lui permet de se promener dans la rue. Il est placé en quarantaine pour y être traité afin qu’il s’en sorte.
NSS : Croyez-vous qu’il y aura-t-il assez de députes qui défendront une telle mesure ? Si elle ne passe pas, c’est tout votre concept qui ne se réalisera pas.
V.M. : Bien sur; il peut ne pas être accepté. C’est une question politique. Quels sont les chances d’avoir la majorité? Je ne le sais pas. Ce que je sais est que le problème est très important.
Mais bien évidemment le plus confortable est de ne pas parler de ce problème. Le seul moyen de le résoudre n’est pas obligatoirement de me soutenir, mais de commencer à réellement s’y atteler.
Je ne me souviens pas, au cours de ces 20 dernières années, qu’une décision fondamentale concernant ce sujet ait été prise.
NSS : Avez-vous eu des discussions sur cette problématique avec les hautes sphères du pouvoir, avec Poutine?
V.M. : Moi et Poutine nous sommes à différents niveaux de pouvoir. J’ai adressé mon concept à la Douma et aux médias.
Souvent les parlementaires ne prennent pas la balle au vol. Et après ils parlent d’elle en leur propre nom. Cela m’est égal, je n’ai pas besoin de lauriers, de droits d’auteur. Mais ce problème il faut le résoudre. Il existe le terme médical de : provocation. Si cela permet d’apporter de l’espoir aux sans-abris, de leur éviter la mort, en ce cas, je trouve qu’à mon niveau j’aurai réussi.
NSS : Sentez-vous que vous agissez tel un combattant solitaire? Quel soutien recevez-vous quand à votre concept ?
V.M. : Dès que je commence à parler de ce problème, je suis critiqué tout spécialement de la part des ONG. Mais qu’elles proposent donc une alternative.
NSS : Percevez-vous un soutien de la part de vos collègues et de l’Eglise?
V.M. : L’Eglise, oui.
NSS : L’Eglise peut influencer le pouvoir.
V.M. : Si l’Eglise avait du pouvoir sur l’Etat, nous aurions interdit déjà depuis longtemps les avortements. Là, je parle comme un ecclésiastique.
NSS : Vous êtes avant tout un homme politique.
V.M. : Une personne. Une pièce, un tout.
Hélas personne n’a besoin des sans-abri
NSS : Vous sentez que vous êtes seul ?
V.M. : Dans ce cas-là, oui. Pour mes collègues ce problème n’est pas enthousiasmant. Ce thème ne favorise pas l’avancement de leur carrière ; c’est un travail de routine qui ne les valorise pas.
NSS : N’y a-t-il pas parmi vos collègues du parlement cette envie, cette volonté politique à résoudre ce sérieux problème du sans-abrisme?V.M. : La difficulté est exactement là. Personne n’en parle. Comprenez, il y a déjà 20 ans que nous faisons semblant de s’occuper des sans-abri, mais en réalité nous ne faisons rien pour eux. Les maisons de nuit c’est purement formel, pour la galerie.
NSS : C’est exact car pour y entrer une invraisemblable quantité de papiers sont demandés. De plus il n’existe à Saint-Pétersbourg que 11 centres d’accueil qui offrent 220 lits, c’est peu en regard des 60’000 personnes à la rue.
V.M. : D’accord. Mais jusqu’à combien faut-il augmenter le nombre de place dans les maisons de nuit? Jusqu’à 60’000? Dans ce cas là, nous n’avons pas besoin d’autres visions, mon concept serait inutile.
Allons-nous continuer de nous charger de ce terrible et sinistre poids de 60’000 sans-abris qui vont continuer à vivre à Saint-Pétersbourg? Améliorer et investir dans le système existant ? Mais ça coûte beaucoup d’argent et personne ne donne ou donnera de l’argent pour améliorer le sort des sans-logis.
Le mieux serait de soutenir mon concept ou un autre programme alternatif qui permettrait de résoudre ce problème globalement.
Hélas personne n’a besoin des sans-abri. L’Etat se détourne de ces gens.