
Elena a 61 ans. Elena est une femme fragile de petite taille. Elle m’a dit qu’au tout début de sa survie, il y a dix ans de cela, elle pouvait facilement courir dans la rue, ramasser des canettes et des bouteilles, les emporter, les échanger contre de la menue monnaie, explique Sabina Aksenova, assistante sociale au Centre d’Accueil de Saint-Pétersbourg.
Sans méfiance
Parfois je me demande si les bonnes fées ne m’ont pas oubliée, raconte Elena. J’ai vraiment l’impression que je suis née du côté de pas de chance.
J’ai vu le jour à Leningrad.(Aujourd’hui Saint-Pétersbourg). Jusqu’à mes dix-sept ans j’habitais un appartement de deux pièces avec mes parents et ma sœur cadette. Une existence banale. Le jour de mes dix-huit ans, mes parents m’ont suggéré de me désinscrire de notre appartement commun et de m’inscrire dans la chambre de ma grand-mère. Naïve, j’ai dit oui, sans poser de question, sans comprendre leur sollicitude, et me voilà à partager le quotidien avec ma babouchka
Seize mois plus tard, ma grand-mère décède. Je reste vivre dans cette chambre à Sosnovy Bor. Mes parents, ma sœur, je ne les vois presque plus.
Le miroir aux alouettes
Les voisins de l’appartement communautaire se réunissent souvent en un groupe bruyant. Pour ne pas me sentir mise de côté, seule, j’accepte de passer du temps avec eux, de boire.
C’est lors d’une de ces soirées enivrantes que je rencontre Alexeï. Très vite, je déménage dans son appartement, poursuit Elena, intarissable.
Dès ce moment, sans vraiment le savoir, je me retrouve sans enregistrement, sans Propiska. Les ans s’écoulent, ce n’est pas le luxe, mais on survit.
Alexeï a une passion, le dourak. Le soir, de temps à autres, il sort jouer avec des camarades.
A la maison, nous aimons boire notre coup. Soudainement, mon mari décède. Je découvre qu’Alexeï, un soir de dourak, face à une perte d’argent, a dû pour s’en acquitter, signer une reconnaissance de dette : le jour où Alexeï meurt, la chambre que nous occupons revient au bénéficiaire, Georg le bien nommé.
Je me révolte, mais légalement ne peux rien faire, la chambre n’est pas à mon nom. Georg me propose une chambre dans un dortoir publique où il connaît le gérant. Mais voilà, ce qu’il ne sait pas, c’est que je n’ai plus de Propiska. Je n’ai pas le droit d’y séjourner sans papiers.
La déchéance
Au début, Elena passe une nuit chez des amis, une autre chez des connaissances, parfois dans quelques parcs quand la météo le permet. Pour les repas, il y a la soupe populaire distribuée dans un parking.
Les mois passent et ses logements d’une nuit par-ci, d’une nuit par-là, s’achèvent. Elena se retrouve définitivement à la rue. C’est une longue survie qui commence.
Plus tard, bien plus tard, j’ai fini par atterrir à l’Abri de Nuit d’Obukhovo. Il était temps. Plus les mois passaient, plus j’avais mal aux bras et aux jambes, c’est dur, très dur de marcher dans la rue, d’y survivre, je n’en pouvais plus, mais ici, ça va. Ils sont mes anges de la chance.
Un nouveau départ
Elena vit désormais dans notre Centre d’Accueil.
Nos avocats l’aide à retrouver ses papiers, son identité administrative. Une fois cela réalisé, nous l’aiderons à s’inscrire en tant qu’handicapée afin qu’elle puisse bénéficier d’un pensionnat pour personnes âgées, invalides.
Vous savez, souligne enthousiaste Sabina Aksenova, je suis convaincue, une fois de plus, que tout ce que Nochlechka entreprend est des plus importants, nous sauvons des vies.
Notre tâche est immense, aidez-nous à donner plus d’humanité.
Important : malgré les embuches du boycott, nous arrivons toujours à transférer votre appui financier.