Alexey 45 ans

004_IKV_Aleksej-022-1280x853Le destin d’Alexey Polyakov nous permet, une fois encore, de constater à quel point en Russie quelques déraillements du quotidien peuvent entrainer un individu de l’autre côté du monde administratif où l’individu se transforme en citoyen de troisième zone.
La vie qu’Alexey nous décrit ici prend place dans la série des monologues « Ainsi vont les choses» menée par la journaliste Nastia Riabtseva

Alexey Polyakov, aujourd’hui 45 ans, se déclare ambulancier et voilà ce qu’il nous raconte :

Je me suis retrouvé complètement seul
Je suis né à Leningrad en 1970, nous étions toujours sous le régime communiste. Mon père est mort quand j’avais dix ans, ma mère quand j’en avais 24.
Ce jour-là, lorsque je l’ai découverte, la seule chose qui m’est venue à l’esprit fut d’ouvrir les fenêtres, il faisait chaud, nous étions au printemps et je suis sortis, j’ai erré dans les rues, je fumais cigarette sur cigarette, j’entrais dans un magasin, regardais les vitrines, cherchais la foule, n’importe quoi, je ne voulais pas être seul.
Et pourtant très vite je me suis retrouvé complètement seul.
A cette époque, j’étais un jeune marié, ma femme Vlada venait d’accoucher de Masha. Notre mariage a tourné à l’aigre, nous avons très vite divorcé. J’ai bien essayé de garder des contacts mais Vlada et sa famille n’ont pas voulu.

Nous étions heureux
J’ai vendu l’appartement de maman et m’en suis acheté un à Pskov.
Là j’ai rencontré une femme, nous avons vécu 16 ans ensembles, en 1998 elle a donné jour à une fille, Lena. J’ai mis l’appartement à leur nom.
Nous étions heureux mais je me casse la cheville droite, trois mois d’immobilisation, je perds mon travail d’ambulancier. Puis une période sans fin à me traîner avec des béquilles.
Et le comble, une fois plus ou moins remis d’aplomb, je me retrouve à travailler sur un chantier à charrier tous les jours des brouettes remplies de sable, moi qui avant était un infirmier.
Tout a vraiment basculé en 2012.
Je ne sais pourquoi mais le souvenir de maman est venu me hanter encore plus que jamais, je me suis mis à boire, à boire beaucoup.

J’ai tout perdu
Je quitte tout, nouvelle hérence qui me conduit dans les montagnes Pouchkine, au monastère de la sainte assomption. En abandonnant Pskov j’ai tout perdu, non seulement ma famille mais mon identité administrative (Propiska). Je réalise que j’ai tout gâché, la vie de trois personnes, ma fille, sa mère et moi. Du monastère je retourne à Pskov mais personne ne me pardonne, ma chute sociale est maximale, je survis dans la rue.
A Pskov, il y a bien un établissement pour sans-abris mais y règnent les poux, l’alcoolisme, le manque d’assistance sociale, une salle pas bien grande pour 20 personnes, du gruau comme alimentation, une fois par jour. Terrible !

Une aide peu orthodoxe
Je fuis, je pars, je rejoins Peter (Saint-Pétersbourg). J’ai toujours aimé cette ville, non seulement parce que j’y suis né mais parce que je m’y sens bien.
A Peter, je me loge chez une cousine mais cela ne va pas du tout, son appartement est petit, y habitent aussi son maris et ses deux enfants. Très vite je les laisse et me réfugie à la Cathédrale de la Transfiguration. J’ai demandé de l’aide ils m’ont simplement remis l’adresse des appartements sociaux orthodoxes.
Ce lieu vous permet de dormir et recevoir un bol de soupe si vous acceptez de travailler sans salaire aucun sur des chantiers divers, de la pure exploitation.
J’y suis resté un mois, j’étais « loué » à la journée. Le seul argent que je recevais était pour le métro histoire de me rendre au travail.

Un jour je me suis rappelé qu’existait Borova, 112 B, l’adresse de Nochlechka.

Borova, 112 B
Il y a trois ans je regardais un programme télévisé qui parlait de cette ONG et cela m’avait surpris qu’une telle organisation existe à Saint-Pétersbourg.
A Nochlechka ils m’ont aidé, vraiment aidé, j’ai pu séjourner vingt jours, ils m’ont offert des vêtements, j’ai pu voir un médecin pour ma jambe, ils m’ont aidé à trouver un travail, à récupérer mes papiers.
S’il n’y avait pas eu Borova, 112 B je ne sais pas ce que je serai devenu. Je serai peut-être en prison car comme je ne voulais plus subir l’aide sociale orthodoxe, que l’hiver arrivait et que je ne voulais pas dormir dehors, j’étais prêt à tout pour me retrouver au chaud….en prison.
Aujourd’hui je mets quelques roubles de côté car je veux aider ma fille Lena. Elle veut étudier le droit. J’ai l’ai revue, elle ne me blâme plus.

Récemment, Lena m’a présenté solennellement un jeune homme. La roue tourne.

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