Vadim, les derniers mois

Comment vivrais-je si je savais que j’étais mortellement malade ?
Je me suis posé cette question quand j’ai connu Vadim, le sans-papier sans-abri, et j’étais content de ne pas avoir à y répondre raconte Pavel Konstantinov, médecin bénévole à Charity Hospital.
Mais Vadim, lui, a dû trouver la réponse. Vadim a un cancer à un stade terminal, ajoute-le médecin.

Cancéreux à la rue
Pavel Konstantinov nous retrace les dernières semaines de l’existence de Vadim.
Je rencontre Vadim lors de notre maraude médicale au mois de septembre 2021.
Vadim dort dans la rue et lorsque je l’ausculte pour la première fois, il ne va vraiment pas bien. De plus, les nuits sont déjà si fraîches.
Il est évident que Vadim doit être hospitalisé.
Mais vous le savez bien, ce n’est nullement évident qu’un sans-papier le soit.

Un passage chez les vivants
Nous avons trouvé une ambulance et accompagné Vadim à l’hôpital Botkin, l’un des rares établissements à recevoir des malades sans documents administratifs.
Étonnamment, ils gardent Vadim pendant deux semaines. Cela arrive rarement avec des sans-papiers poursuit Pavel Konstantinov.
Les médecins, le traitement, et surtout, le sommeil et une nourriture normale requinquent Vadim. Il cesse de ressembler à un squelette ambulant.
Une étincelle est apparue dans ses yeux, sa voix est devenue plus forte.

Un logement en attendant que…
Entre-temps, nous lui recherchons un logement. Hors de question que Vadim regagne la rue, qu’il retrouve cette barraque à moitié en ruine, sans eau, sans électricité, et bien évidemment sans chauffage, ni toilettes.
Bien sûr il y a le Centre d’Accueil de Nochlechka et même ses Tentes de la Survie mais pour une personne si malade, impossible que Vadim y séjourne.
C’est le Service maltais qui nous dégotte la perle rare. Une chambre, un lit, un toit, c’est parfait, et en plus au centre de Saint-Pétersbourg.

Pas de papier, pas de soins spécialisés
Toujours à l’hôpital, Vadim nous demande un ordinateur. Nochlechka s’en charge, permettant ainsi à Vadim de retrouver son ancien job.
Vadim, dans une autre vie, était publiciste.
Sur l’ordi, Vadim retrouve ses adresses-mail, contacte ses anciens clients, dessine des logos et compose des brochures. La chaise près du lit s’est transformée en bureau.
Entre temps, nous devons restaurer sa situation bureaucratique afin que Vadim puisse suivre les traitements médicaux  ad hoc.
Un sans-papier n’a aucun accès à des soins spécialisés que l’hôpital Botkin ne peut pourvoir.
Il a fallu trois mois pour récupérer les documents nécessaires. Ce fut trop tard pour la chimio.

L’ombre du crabe
En novembre, Vadim est admis dans un hospice. La douleur devient terriblement envahissante et Vadim a besoin d’une anesthésie permanente. Vadim souffre d’un œdème lymphatique.
On a pu l’opérer.
A l’hospice, Vadim fait étalage de ses talents de chefs cuisiniers. Incroyable. De véritables œuvres d’art culinaires que nous dégustons avec les autres pensionnaires.
A l’hospice, curieusement, Vadim est le patient le plus vivant. Il fume sur le balcon, déconcerte les infirmières avec son sens de l’humour particulier, part en balade comme si de rien n’était.

L’heure du Nihon teien
Une nuit de décembre, proche du nouvel an, nous fumons sur le porche de l’hospice. Le froid est mordant, il n’y a pas de vent, des dômes blancs de neige se reposent doucement sur les branches des pins. Ils scintillent au clair de lune. La cloche d’une église voisine carillonne.
Japon ” dit soudain Vadim, ” tout est très japonais ici, et les filles japonaises ont de très belles voix “.
Je ne sais pas quoi dire, mais je suis d’accord avec lui. C’est très japonais que de vivre calmement et voir la beauté qui vous entoure, gagner heure après heure le combat sur la mort, tout en sachant que cela se terminera bientôt, très bientôt.

Le 11 janvier 2022, Vadim nous a quittés
Aujourd’hui je connais la réponse: comment Vadim a-t-il vécu sachant qu’il était mortellement atteint ?
Vadim vivait, appréciait chaque jour et faisait ce qu’il pouvait. Vadim acceptait l’adversité, se réjouissait des petites choses. Vadim vivait.

Raconté par Pavel Konstantinov

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