Un passant peu ordinaire

Un revenant. Avant même de l’aborder, je me suis rappelée de ce coup de fil lancé en urgence.
Arc-bouté, marchant lentement, vêtu d’un ensemble velours côtelé beige, un peu passé, Joseph, nonchalamment regardait la Neva estivale s’écouler passivement.
Je l’ai reconnu de suite, raconte Asya Suvorova, assistance sociale à Nochlechka, et l’appel lancé par Andreï m’est revenu instantanément. Un homme se mourait.
(Andreï Chapaev-responsable des projets humanitaires de l’ONG).

Mort vivant
Nous étions en novembre 2016, l’appel d’Andreï provenait de notre Tente de la Survie plantée à l’avenue du 9 Janvier, à côté la gare d’Obukhovo.
“Ici il y a un homme âgé dans un sale état, il n’a aucun papier, sa santé empire, il faut que nous réagissions et vite” me dit Andreï.
Un médecin bénévole est arrivé à le stabiliser puis nous l’avons conduit dans notre Centre d’Accueil poursuit Asya Suvorova.
Joseph paraissait très âgé. Ce n’est que plus tard, une fois son identité retrouvée, que nous avons su qu’il avait à peine 45 ans.
Il m’a fallu du temps et de la patience pour reconstituer son parcours. Choqué, hébété, Joseph semblait ne se rappeler de plus rien.

Le froid était terrible
En trois cessions en sa compagnie, à peine avais-je rempli une demi feuille A4. Oui, il a fallu être persévèrente et attendre aussi que les bonnes conditions qui hébergeaient maintenant Joseph fassent leur effet.
Si l’on peut dire, Joseph a emprunté le parcours habituel du sans-papier sans-abri.
Arnaque du logeur suivie de la perte du travail, puis la rue et, pour survivre, quelques filouteries ; et le voilà derrière les barreaux d’où il ressort sans papier aucun. Un classique.
Les portes de la prison s’ouvrent sur une cramine épouvantable, le blizzard fige les rues pétersbourgeoises. Joseph est frappé d’un accident vasculaire. Un inconnu, après avoir essayé deux hôpitaux, l’apporte bien malade à la Tente de la Survie.
Et Andreï lui sauve la mise.

Un travail de Sisyphe
Une difficile tâche commence pour nos juristes, retrouver des traces administratives de notre Joseph
Rien d’évident au pays de l’absurde bureaucratique. Il leur a fallu plus d’un an pour que Joseph redevienne un citoyen russe. D’autres mois ont été nécessaires pour qu’il puisse toucher une assurance invalidité et être accueilli dans un centre spécialisé.

Il n’y a aucun doute, si en ce mois de juillet 2020, Joseph peut ainsi flâner le long de la rivière, il le doit à Nochlechka.
Tout en lissant sa barbe, Joseph ne dit pas autre chose : “Vous vous rendez compte par quelles galères j’ai passé. Tout cela à cause d’un propriétaire véreux et d’une bureaucratie inepte, quelle catastrophe.”

Soutenez-nous, notre tâche est immense, vous sauverez des vies.

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