Mille visages

Le sans-abrisme est une circonstance de vie et non pas la caractéristique d’une personne.
Nous ne le répéterons jamais assez, la grande majorité des sans-papiers sans-abris en Russie sont des victimes. Nous faisons tout pour qu’ils s’en sortent.
Ils sont des centaines et des centaines de milliers et pourtant, chacune, chacun, est un cas bien à part.
Un retraité chassé par ses enfants de son appartement, un travailleur se déplaçant de ville en ville, une femme qui fuit son partenaire violent, un locataire expulsé sans raison aucune par le propriétaire, et tant d’autres cas, autant de victimes qui perdent leur propiska et qui se retrouvent sans toit, ni droit.
Dimitri Shilov, chanteur d’opéra, lui aussi, a rejoint cette cohorte de laissés-pour-compte.

Le chanteur d’opéra
Pendant dix ans, en tant que ténor, j’ai chanté presque toutes les partitions les plus difficiles, Rusticana, Pagliacci, Carmen, Il Trovatore, et tant d’autres. Tout allait au mieux. Tournées européennes, tournées aux USA.
Et tout d’un coup, patatras, c’est la rue, nous raconte Dimitri assis dans le salon du Centre d’Accueil de Nochlechka à Saint-Pétersbourg.
Un soir, devant le théâtre où Dimitri chante, son véhicule est cambriolé. S’y trouvait ses documents d’identité, de l’argent et un téléphone portable avec tous ses contacts. Alors qu’il se rend à la police pour y déposer plainte, Dimitri est à son tour agressé. Violemment frappé à la tête, le peu qu’il lui restait s’évapore également.
Ce n’est que deux semaines plus tard qu’il sort des soins intensifs. Entre temps, sa deuxième épouse s’est accaparée de l’appartement commun, à changer les serrures. Dimitri sans identité, toujours physiquement fortement commotionné, subit, ne comprend pas, erre, malheureux comme tout, dans les rues enneigées de Saint-Pétersbourg.

Une vengeance ?
Nous sommes en novembre, l’hiver est là, apprendre à survivre à cette époque est une dure école. Dimitri dans son brouillard se demande comment est-il possible que de tels événements se succèdent si parfaitement. Jalousie professionnelle ? Perfidie matrimoniale ? Ou simplement le hasard qui lui joue un vrai sale tour ?
Il rode autour du théâtre Mariinsky, demande d’entrer, de retrouver des amis, des collègues. Le concierge ne le reconnait pas, ou fait comme si. Voilà une semaine que Dimitri arpente les trottoirs gelés, il fait peine à voir. Des engelures attaquent ses pieds, ses mains. Dimitri est à bout.
Des rencontres d’infortune lui donnent des trucs pour ne pas mourir de froid, de faim. Ils lui offrent de l’alcool pour se réchauffer.
Dimitri trouve refuge avec cette bande de sans-abris dans un sous-sol humide, abandonné aux rats.

S’en sortir
Au fil du temps, la boisson devient de plus en plus présente, nous explique-t-il. Un soir après avoir fouillé des poubelles et trouvé quelques nourritures congelées, en étant encore à peu près sobre, j’ai compris que je ne pouvais pas continuer ainsi. Mais comment m’en sortir ? J’ai bu, juste pour ne pas y penser.
Les jours, les semaines passent, et un beau matin je me suis réveillé et j’ai réalisé que j’allais mourir. Mon âme n’acceptait pas cela, que je crève comme un inhumain, je devais réagir.
Ce même matin, en me trainant, j’ai tout d’abord rejoint une église protestante, demander de l’aide. Là, Ils m’ont dit qu’il existait un endroit spécialisé qui s’occupait des sans-papiers sans-abris. Un lieu où ils vous retapent, vous retrouvent une identité, même du travail.
C’était Nochlechka où je revis depuis trois mois dans leur Centre d’Accueil.

Nochlechka s’est décarcassée. Quelle énergie ils ont dépensé, ils sont fantastiques. A nouveau j’ai une propiska, côté santé ils m’ont remis sur pied, et incroyable, mais vrai, ils m’ont trouvé un boulot. Je travaille aujourd’hui dans une entreprise d’alimentation. J’espère bientôt que je pourrai louer une chambre.
Ma voix de baryton, elle, elle s’est volatilisée dans les méandres du sans-abrisme.

Vous savez, il a fallu que je tombe si bas pour me rendre compte que, malgré tout, la charité existe dans notre pays. Oui, il a fallu toucher le fond, dit encore Dimitri.

Peu importe les saisons, par tous les temps Nochlechka vient au secours des sans-papiers sans-abris.
Merci de votre indispensable soutien, nous sauvons des vies.

Important : malgré les embuches du boycott, nous arrivons toujours à transférer votre appui financier.

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