La maison fantôme

Larisa et moi supportons le grand air, souligne Dimitri, tristement ironique.
Ce couple de sans-abris survit depuis de très longs mois juste derrière le centre commercial Europolis de Saint-Pétersbourg.

Survivre en plein air
Dimitri, 42 ans, sa femme Larisa, 57 ans, subsistent dans une maison fantôme, sans toit, ni murs : un cadre de porte branlant sans porte, une armoire au miroir fêlé. Au centre, à même le macadam, un semblant d’âtre et sur un des invisibles côtés, une bâche de plastique, illusoire protection, elle délimite une chambrette fictionnelle où, sur le sol, un large matelas suranné et quelques couvertures effilochées officient de lit.
L’arbre, à proximité, leur tient compagnie. Il est décoré de guirlandes défraîchies d’un Nouvel An lointain.

Réminiscence d’un passé lointain
Les sans-abris tentent souvent de recréer un semblant de l’ordre auquel ils étaient habitués lorsqu’ils étaient “chez eux“, avant leur déchéance sociale, explique l’anthropologue Inozemtsev, qui connaît bien le couple.
Larisa essaie avec cette armoire de recréer un espace confortable. Une sorte de jalonnement qui nous dit : «Une personne vit ici. S’il vous plaît, respectez notre espace», explique le scientifique.

Récolter l’opprobre
Dimitri n’est pas rasé. Lui et sa compagne sentent fortement le feu et le corps non lavé.
Les clients assis sur les bancs du centre commercial les toisent du style, mais comment est-ce que l’on laisse de telles verrues s’installer sous nos yeux.
Dimitri capte tous leurs regards mauvais, et volontairement, il ne détourne pas les yeux.
Sortir de la chambre et s’habiller est la chose la plus difficile nous explique Dimitri, surtout en hiver, surtout quand les bottes sont froides et ratatinées.
A cause de cette humidité, de ce froid, ils arrivent que nous restions dans notre chambre, blottis l’un contre l’autre, pendant plusieurs jours, ou bien encore, nous pouvons marcher pendant des heures et des heures, histoire de se réchauffer.
Le froid c’est vraiment le pire, vos doigts deviennent comme des bouts de bois, ajoute Dimitri.

Une lente descente
Dimitri nous raconte qu’il a fait la guerre de Tchétchénie, qu’en 2006 il travaillait dans la construction, que le patron a filé avec la caisse et que tous les ouvriers se sont retrouvés sur le carreau. Que sa femme l’a quitté, qu’il a perdu son appartement.
Dans son errance, il rencontre Larisa, ensemble ils se sont unis pour se sentir plus forts, moins dépourvus, moins terriblement seuls.
A l’automne 2017, lui et Larisa ont installé un semblant de hutte entre la voie ferrée et les garages, là-bas en lointaine banlieue. Ce refuge n’a guère duré, expulsés qu’ils furent par les cheminots.

Un sentiment de liberté ?
Qu’avez-vous ressenti au moment même où vous êtes allé vivre dans la rue ? lui a demandé l’anthropologue Inozemtsev.
Il n’y avait aucun sentiment. Est-ce que tu me crois ? Aucun regret, rien. Peut-être y avait-il un sentiment de soulagement.
De soulagement ?
Que je suis libre.
Libre ? Sur quel plan ?
Je suis un homme libre.
J’ai traversé la guerre, affronté de tels problèmes, partout, ici aussi à Peters, maintenant, je n’ai plus besoin de me lever à une heure précise pour aller travailler. Tu n’es plus obligé de t’enregistrer quelque part toutes les 15 minutes.
Vous ne comprenez pas ? Personne ne me surveille et ne m’accuse

Dimitri se lance dans des descriptions colorées d’un avenir possible, dans lequel lui et sa Larisa partiront pour Sestroretsk, il y travaillera comme gardien, il recevra 48’000 roubles (600 CHF) et ils vivront dans un joli confort. Peut-être partiront-ils demain ?

Tu viendras voir comment Larisa et moi seront installés dans notre nouvel endroit. Nous vous accueillerons comme un cher invité ! Larisava te cuisinera du pilaf !
Dimitri rêve.

Ils sont des dizaines de milliers de Dimitri et de Larisa, aidez-nous à leur donner de l’humanité.

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