Huit heures, les sans-papiers sans-abris se préparent à quitter la Tente. Abandonnant pour la journée le refuge chauffé, ils retournent au froid.
La crainte habite tous ces réfugiés de l’hiver. Survivront-ils aujourd’hui ?
Seul face au froid
Alexeï a tourné à droite après le terrain vague du canal Shkipersky, là où la Tente s’est posée. S’éloigner des bords de la Baltique et de son vent froid, humide, trouver un pis-aller de refuge dans les rues encadrées par les immeubles protecteurs. Direction la station de métro Primorskaya. Et toujours cette obscurité qui n’en finit pas. Il neigeotte ce matin, cela pourrait être bien pire.
Les trottoirs sont bondés, c’est l’heure d’aller travailler. Alexeï a croisé une maman tirant sa progéniture sur une luge.
Ils se rendent peut-être au jardin d’enfants. La luge, un bon moyen de se déplacer, les trottoirs sont rarement déneigés, de véritables pièges, la neige cache souvent une couche de glace, c’est vraiment casse-gueule que de s’y aventurer, raconte Alexeï. Regardez les passants, on dirait qu’ils marchent sur des œufs.
Ne pas geler sur place
Notre défit, à nous autres sans-abris, est d’arriver à passer la journée sans geler. Sérieusement, le risque est grand. Nous sommes dans les intempéries tout le temps, se réfugier à la station de métro impossible, ils vous chassent avant même d’avoir franchis l’entrée. Les cafés ? N’en parlons même pas.
On marche beaucoup, mais tout en restant dans le coin. En effet vers 18h00, il est temps de regagner la Tente mises à disposition par Nochlechka. Ils ouvrent à 20h00. Pas question d’arriver trop tard, l’espace chauffé se remplit vite.
J’évite au possible les avenues propices aux fort courants d’air. Il y a bien les bouches d’aération du métro qui rejettent de l’air chaud mais elles ne sont pas vraiment abritées, et donc difficile d’y stationner.
Dans le quartier, il y a parfois quelques immeubles en travaux, vides, on s’y réfugie s’il n’y a pas des gardes. On y fait du feu avec des palettes récupérées de-ci, de-là. C’est mieux que rien tant que la météo ne tourne pas au blizzard. Là, le vent, la neige, envahissent tout, passent par toutes les interstices, celles de vos vêtements aussi. C’est cruel.
Alexeï 41 ans
Depuis quelques semaines, Alexeï a élu domicile dans la Tente de la Survie. Avant, il survivait du côté de la gare de Moscou.
Voilà deux ans que je suis sans abri. J’ai perdu mon boulot, ma chambre, mes papiers, bref l’habituel trajet qui vous conduit à devenir un moins que rien.
Des petits boulots au marché de fruit et légume Kuznechny lui permettaient de ne pas crever de faim, mais de là à se loger correctement, impossible. Sans papier, qui lui louerait une chambre ? Reste les auberges pas trop regardantes où une piaule est toujours possible si l’on a de quoi y payer une nuit à un tarif prohibitif faute de papier.
Les mains d’Alexeï sont couvertes de croûtes douloureuses. Il est sûr qu’il s’agit de traces d’empoisonnement, l’eau très certainement, assure-t-il. C’est devenu impossible de travailler, de transbahuter des caisses de légumes, de charger des sacs de pommes de terre, cela fait trop mal, souligne-t-il.
C’est ainsi que j’ai accueilli l’hiver, sans boulot, sans toit. Par chance j’ai entendu parler de la Tente de Nochlechka et m’y voilà depuis le début décembre.
Le froid, toujours le froid
Evidemment ce ne sont pas les conditions dans lesquelles je passe mes journées qui améliorent l’état physique de mes mains. Pour le moins Nochelchka m’a fourni des gants chauds et d’autres habits adaptés aux frimas.
Ils m’ont dit aussi qu’ils allaient s’occuper de me retrouver des papiers, de me soigner les mains. Il faut dire que je ne suis pas le seul dans cette situation désespérante. Faut être patient.
Vous ne pouvez imaginer à quel point l’obsession de ne pas se refroidir nous habite continuellement. L’hiver nous traumatise, nous savons qu’il est facile d’y laisser sa peau.
Au détour de conversations on entend qu’un tel, une telle, a été happé par la mort blanche. D’autres amputés, leurs membres ayant gelé.
Oui, gelé. Cela peut vite arriver. Des chaussures détrempées, des pieds mouillés, vous vous reposez dans l’encoignure d’un porche, vous vous assoupissez, et voilà.
Survivre
L’hiver dernier, à Saint-Pétersbourg, grâce à nos deux points d’accueil chauffés, nous avons sauvé 11’456 vies.
Les Tentes peuvent abriter, chacune, une cinquantaine de personnes. Elles y reçoivent nourriture chaude, soins de première urgence, habits et sécurité.
Nous avons besoin de votre soutien, votre aide est indispensable pour que nous puissions accueillir les victimes de l’hiver, précise Andreï Chapaev, responsable des actions humanitaires.
En hiver, plus que jamais, notre tâche est immense, soutenez-nous, vous sauvez des vies.
Important : malgré les embûches du boycott, nous arrivons toujours à transférer votre aide.