Ivan et les pommes

Pour Ivan, sans-papier sans-abri, mal en point, rescapé il y a peu de la rue, les prochaines élections législatives russe ne squattaient même pas son esprit.
Il faut dire aussi que les millions de citoyens russes sans toit ni droit ne peuvent jamais participer à des votations, à des élections.
Ces êtres n’existent tout simplement pas pour le pouvoir en place malgré les quelques promesses faites, et rarement tenues par ses représentants. Ils sont aussi totalement ignorés par les partis d’opposition, puisque sans possibilité de glisser leur bulletin dans l’urne.

Un peu toujours la même histoire
Ivan vient de souffler, symboliquement, soixante bougies. Ivan souffre d’un essoufflement sévère et de fortes douleurs dans les jambes. Le tribut de son errance.
L’histoire de sa vie ressemble, un peu, beaucoup, aux autres sans-papiers, ces hommes, ces femmes, ces enfants aussi, fantômes aux yeux de l’administration, abandonnés à leur sort, tout simplement par absence de propiska.
Ivan, ancien officier, a enterré il y a cinq ans sa femme bien-aimée, Youlia. Youlia était la propriétaire de leur petit appartement de la rue Pyatiletok à Saint-Pétersbourg, et malgré leur mariage, le bien immobilier resta à son nom.
A son décès, Ivan est éjecté sans ménagement de son domicile par le propriétaire de l’immeuble, et le voilà à la rue, où, très vite, il perd pied et la santé avec.

Au bout du rouleau
Lorsqu’Ivan arrive au Centre d’Accueil de Nochlechka, il n’en peu plus, n’a qu’une idée, se suicider. Pris en charge par notre psychologue, tout est entrepris pour qu’il remonte la pente.
Lors d’une séance, Katia, la psychologue lui demande ce qui lui ferait plaisir.
J’aimerais aller à Kronstadt où souvent nous nous promenions avec Youlia, ma compagne adorée, où l’on se tenait par la main.
Cette expédition ne fut pas facile à mettre sur pied nous raconte Katia. Pensez, Ivan marche à peine. Il m’a fallu trouver un transport privé, enfreindre nos règles car ce genre d’excursion doit se réaliser sous la houlette de l’ONG, et ce jour-là cela était impossible.

Une histoire de pommes
Et nous voilà à Kronstadt avec le propriétaire de la voiture, les trois, bras dessus, bras dessous, et soudain, notre Ivan aperçoit des pommiers sauvages et une envie irrésistible le prend, secouer l’un de ces arbres fruitiers, et manger de belles pommes aux couleurs vives.
Il était heureux comme un gosse, tellement content, nous avons beaucoup rit, Ivan s’est souvenu du temps où il offrait des fleurs à sa femme, nous sommes allés aussi à l’église ajoute Katia avec émotion.

Mourir le sourire aux lèvres
Quelques courtes semaines plus tard, Ivan a dû être hospitalisé. Ses jambes refusaient d’encore le porter, sa respiration devenait de plus en plus mesquine.
Katia est allée le voir, je me suis assise à côté de son lit, je lui ai demandé comment il se sentait.
Heureux, Katarina, heureux. Cette balade à Kronstadt a effacé toutes les noirceurs de mon esprit, je me sens si soulagé, je suis calme. La vie est belle, je ne veux pas mourir, mais je suis prêt.
Grâce à vous, à Nochlechka, j’ai pu, un moment, retrouver cette paix qui m’avait quitté au décès de Youlia, et je pensais que jamais je retrouverais ce bienêtre.

On s’est dit au revoir, je suis rentrée chez moi, c’était vendredi. La fin de semaine m’attendait. Dans la nuit de dimanche à lundi, Ivan est décédé.

A Moscou, à Saint-Pétersbourg, ils sont des dizaines de milliers de sans-papiers sans-abris, nous avons besoin de vous, aidez-nous à leur donner de l’humanité.

 

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