Paradoxalement les gares, refuges bien souvent pour les sans-papiers sans-abris, sont pour eux synonymes de cul-de-sac.
Natasha, une très jeune femme rencontrée à la place des trois gares, la place Komsomolskaïa à Moscou, ne nous contredira pas.
Loi de la jungle
Je suis arrivée ici il y a six mois, je m’étais enfuie de chez moi, mon père me maltraitait. Je pensais que très vite j’allais trouver un quotidien normal mais voilà, la déchéance est là, je suis coincée à faire la manche et les poubelles pour survivre.
Pourquoi est-ce que je stagne ici ? On se sent moins seule, d’autres éclopés de la vie sont là.
Parfois on s’entraide, parfois, aussi, ce sont des rivalités impitoyables tant notre survie prend le dessus, peu importe les moyens.
Microcosme ferroviaire
La gare pour les sans-papiers sans-abris permet un anonymat que n’offre pas la rue. La gare cache le sans-logis parmi la foule incessante de voyageurs. Ils se dissimulent parmi la foule constate Robert Rosenheek, chercheur à l’université de Yale.
On ajoutera que dans une gare, il est plus facile de trouver quelque nourriture oubliée par un voyageur pressé.
Pour Robert Rosenheek, le sans-abri squattant la gare et ses environs est un être bien plus difficile à aider. Peut-être qu’il se sent un peu moins vulnérable que ses frères de malheurs qui affrontent les intempéries de la rue ?
Toutes les combines
Alexeï, dans la soixantaine bien trempée, un bol de soupe fumant à la main droite, porte une chemise parfaitement blanche, un spectacle inhabituel parmi ceux qui survivent dans la rue
Alexeï est plutôt joyeux, malgré les ecchymoses ornant son visage. Il nous relate.
Tôt ce matin, on a essayé de voler mon sac de marin, je me suis bien défendu, ma vie entière y est rangée, alors vous pensez.
Alexeï, tout en conférant, surveille de très près son sac bien rempli, il est également très propre.
Malgré ce genre de violents inconvénients, la gare vous offre de multiples possibilités, poursuit Alexeï. Prenez les trains et leurs passagers, suivant les horaires c’est le moment d’aller tendre la main, les voyageurs sont moins pressés.
Il y a aussi tous les fastfoods, toujours vous y trouverez quelque chose à grignoter et aussi les douches publiques, cela vous permet d’être propre sur vous, vous sentir moins misérable et aussi mieux présenter pour faire la manche et moins attirer l’attention de la milice.
Que d’errances
Nous ne sommes pas des sans-abries, nous ne sommes pas des sans-abries, nous crient Gulnaz et sa mère Nargiza, migrantes du Kirghizistan.
Malgré leur apparence d’abandon, elles nous racontent qu’elles sont ici, juste de passage, rien que pour chercher le frère de Gulnaz.
Il y a quelques mois, Almasbek, mon frère est venu chercher du travail à Moscou raconte Gulnaz.
Almasbek me disait habiter ici, à la gare de Laroslav, dans cette immense espace ferroviaire et puis…plus de nouvelles.
Voilà des jours que nous sommes à sa recherche, et rien. Pour ne pas trop entamer notre pécule, nous dormons ici, à même le sol, des cartons nous servent de matelas.
Englués
L’histoire Gulnaz et sa maman est un classique.
Ceux qui arrivent dans ces gares commencent à s’y installer, provisoirement qu’ils disent toujours, finissent par ne pouvoir plus s’en échapper.
Le précaire s’installe, le rudimentaire s’éternise et la paupérisation en marche ne lâche plus, souligne Daria Baibakova, directrice de Nochlechka Moscou.
Et pourtant, tous les sans-abris ne sont pas prêts à accepter de l’aide à la place des trois gares.
Ici le contingent social diffère de celui qui vient à Nochlechka à la recherche de soutien.
Ici, à la gare, il y a très peu d’appui social pour cette population de l’errance. Ils doivent donc se débrouiller par eux-mêmes au contraire de ceux qui viennent à Nochlechka qui ont déjà une volonté diffuse de vouloir s’en sortir.
Le sans-abrisme n’a pas disparu le 24 février
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