Sergueï, 37 ans, sans-papiers sans-abris a perdu la vue, la mémoire, suite à une violente altercation.
Il y a quelques semaines le Bus de Nuit l’a secouru. Depuis, Sergueï est à l’abris au Centre d’Accueil de Nochlechka où il apprend le braille et retrouve l’espoir.
Assis dans la salle commune de l’ONG, Sergueï nous raconte sa tragique destinée.
Inadapté
Je suis un orphelin et à ma sortie de l’institution je me suis retrouvé enrôlé dans l’armée sans que l’on me demande mon avis. J’avais dix-huit ans, la deuxième guerre de Tchétchénie venait d’éclater. L’ambiance dans la caserne était très tendue. Par chance je n’ai pas été envoyé au front.
Après deux ans de ce régime, pour la première fois de mon existence je me retrouve dans la peau d’un civil. Un civil qui n’a aucune idée de comment se débrouiller seul.
L’orphelinat et l’armée m’ont toujours encadré mais ne m’ont pas appris à être autonome.
Du gris vert à l’invisibilité
A peine sorti, paumé, comme débarquant d’une autre planète, je perds tous mes papiers d’identité.
Et bien évidemment je n’ai aucune idée à qui m’adresser pour résoudre ce problème. La police ne veut rien entendre si je n’acquitte pas un pourboire élevé que je n’ai pas. L’armée, sans mes papiers, ne me reconnait plus, et me voilà à la rue.
En Russie, sans papier impossible de trouver un logement, sans logement impossible de trouver un travail légal.
Je survis grâces à des petits boulots au noir, aide jardinier, aide paysagiste, chargeur dans les magasins de légumes. La rue est mon domicile fixe.
D’invisible à amnésique
Au cours d’une rixe pour accaparer mon abri, j’ai été très violemment frappé par deux de mes congénères. J’en perds la mémoire et progressivement la vue.
Sans papier impossible de se rendre aux urgences.
Mon errance continue à tâtons, dans un brouillard indéfinissable, j’adopte sans m’en rendre compte diverses identités.
L’ange gardien
Par quel miracle je me suis retrouvé à la distribution du Bus de Nuit. Je ne me souviens pas. Viktor, le chauffeur du véhicule, m’a raconté que d’autres sans-abris m’y avaient amené.
Dès lors mon quotidien s’est très nettement amélioré, Nochlechka m’héberge dans son Centre d’Accueil, curieusement cet havre de paix permet à ma mémoire de revenir, de me rappeler.
Ce que confirme l’un des psychologues de l’ONG : « Probablement Sergueï a reçu un tel traumatisme tant physique que mental qu’en guise de défense face au milieu très hostile de la rue, il s’est enfermé, n’a plus voulu s’en remémorer. Aujourd’hui le stress a disparu et Sergueï ouvre à nouveau sa boîte à souvenirs. »
Aujourd’hui, Sergueï espère que son apprentissage de la canne blanche, du braille, de retrouver une identité administrative permettront enfin d’aborder un quotidien moins cruel.