Un vent glacial nous fouette, les flocons transformés en grésille criblent les visages.
Stoïque, la file de sans-papiers sans-abris, attend le début de la distribution de nourriture prodiguée par le Bus de Nuit.
A nos côtés, Alexandre Anatolyevitch, perdu, loin de son Kirghizistan natal, vouté par le poids de la survie, nous raconte comment il a échoué là.
Au temps de la perestroïka
J’étais architecte, designer. J’étais très bon en dessin, souligne-t-il, mon imagination spatiale était développée. J’étais un bon architecte.
L’apogée de ma carrière correspond précisément au temps de la perestroïka.
Il n’y avait pas de grands projets, mais j’ai travaillé pour la République kirghize, où je vivais. Mes tâches étaient multiples, dans la décoration, la supervision architecturale, la sculpture.
Un artiste dans une petite république est un multi-manager, j’ai dû faire beaucoup de choses.
Est arrivée la chute de l’URSS, puis progressivement j’ai perdu la vision.
Il y a un an, je me trouvais à Saint-Pétersbourg pour essayer de soigner cette neuropathie optique ischémique quand ma femme en a profité pour divorcer et, pour couronner le tout, j’ai perdu mes papiers d’identité.
Coincé à Saint-Pétersbourg, je me suis vite retrouvé à la rue, aveugle d’un œil.
Se réchauffer dans le blizzard
Je survis, pas très loin de là, dans une ancienne usine laissée à l’abandon.
Alexandre Anatolyevitch content d’échanger quelques paroles, parle du thé chaud que le volontaire lui a offert et aussi qu’il veut rejoindre notre Centre d’Accueil.
Il y a plein de recoins abrités du vent ajoute-t-il. Je sors que rarement. Tout d’abord si le temps le permet.
Dehors, il y a constamment ce vent, très froid. Par conséquent, j’essaie de longer les murs.
Vous savez, paradoxalement, quand le froid est très présent, il faut se promener pour se réchauffer.
Mais il faut aussi faire gaffe que personne ne vienne piquer votre planque en votre absence.
N’importe qui
– Que voudriez-vous dire aux personnes qui liront cette interview ? Peut-être dire bonjour ou quelque chose à souhaiter ?
Je pense, répond Alexandre Anatolyevitch, que se retrouver dans une telle situation dépend peu des gens eux-mêmes.
Peu dépendait de moi pour me retrouver tel que vous me voyez.
N’importe qui peut se retrouver dans une telle situation. C’est triste, bien sûr, que je ne sache pas comment m’en sortir.
On ne peut qu’espérer de l’aide, qu’il y aura des changements dans les relations humaines. Même si c’est peu probable, c’est une révolution qui devrait occuper les esprits.
Et il y a très peu d’espoir pour cela, vous savez.
Sauvons des vies
Ces contacts journaliers offerts par nos Bus de Nuit, à Saint-Pétersbourg et à Moscou, sont indispensables pour les sans-logis, tant moralement que physiquement.
Ils répartissent de la nourriture chaude, des soins de première urgence mais aussi, du réconfort.
Face à cette réalité, face à l’hiver meurtrier, nous aimerions en faire tellement plus, mais nous sommes toujours à la limite de nos moyens financiers.
Aidez-nous à les aider tout au long de la saison hivernale.
Offrez des repas chauds. 500 roubles soit 6.10 CHF par personne.