– Je dois absolument appeler ma femme, s’écrie Nikolaï, complétement hagard devant la porte de la Tente de la Survie à Moscou, proche de la station de métro Domodedovskaya.
En cette nuit de fin juin, l’air est doux. Nikolaï est au bord des larmes.
– Prête-moi ton téléphone, prête-moi ton téléphone, c’est hyper important, urgentissime, s’écrie Nikolaï à Mikhail Iaroslav, le gardien du lieu.
– Je dois retrouver Olga, je dois retrouver ma femme.
Calme-toi Nikolaï, ta femme est déjà-là, dans la tente.
Nikolaï et Olga se sont battus ce matin, elle a pris la fuite. Olga a trouvé asile dans la Tente, explique Mikhail Iaroslav.
Des anecdotes à la pelle
Depuis le 1er mars, nous avons ouvert ce nouvel abri où les sans-papiers sans-abris peuvent venir trouver un havre de paix, passer une nuit en sécurité, recevoir soins de premiers secours et nourriture. Un peu à l’image des Tentes de Saint-Pétersbourg sauf que nous avons commencé à la fin de l’hiver et sommes restés ouvert jusqu’au début de l’été.
Mais peu importe les saisons, nous remarquons à quel point ces abris sont indispensables. Il faudrait les multiplier par mille afin que toute la population de sans-abris puisse trouver le gîte sans devoir montrer des papiers d’identité, nous raconte Mikhail Iaroslav.
En quatre mois, vous pensez que j’en ai vu et entendu, entre autres, des histoires de couples, ce qui me surprend le plus est l’extrême sensibilité qui règne chez les sans-abris, poursuit Mikhail Iaroslav.
En pleine cramine
Tenez, cela s’est produit en avril. La nuit était terriblement humide et froide, en tous les cas moins vingt degrés. Il était tard, plus de minuit si je me rappelle bien. Vladimir est entré comme un courant d’air dans la tente, sans précaution. Tout son visage reflétait l’inquiétude, la peur même, Vladimir était couvert de bleus. Sans me laisser une seconde pour lui demander quoique ce soit, il déclare que lui et sa femme ont été agressés à la gare de Iaroslav.
– Nous étions plusieurs sans-abris à chercher le sommeil quand, d’un coup, la bande à Kirov nous est tombé dessus. Une bagarre s’ensuit, ma compagne fuit mais je riposte, je distribue et reçois des coups. Les gars de Kirov sont vraiment cruels, souligne Vladimir.
Mais là, dans la tente, remarquant que sa compagne n’est pas là, Vladimir perd les pédales. Il veut retourner dans le froid, partir à sa recherche. Il clame qu’il lui est impossible de rester au chaud alors qu’elle gèle, abandonnée dans la rue.
Il a juste avalé un bol de soupe chaude et le voilà aspiré par l’obscurité. Il l’a cherchée partout et c’est elle qui est arrivée à notre abri, juste avant lui. Quel sacrifice, ajoute encore Mikhail Iaroslav.
L’humanité à portée de main
Vous savez nos sans-abris dégagent en même temps une rudesse et une sensibilité à fleur de peau.
Malgré la gravité d’être dans la rue, ils n’abandonnent pas, font tout pour survivre, se blindent. Mais lorsque j’entends leurs mercis le matin à la fermeture de la tente alors qu’ils entament leur journée, leurs mercis ont une âme.
Tenez, l’autre soir, un gars a commencé à chanter très doucement, avec émotion, de la mélancolie s’évadait des paroles, on entendait comme des regrets dans la voix. Je l’ai écouté, je ne saisissais pas cette langue. Un autre gars l’a rejoint, puis une fille. Je les écoutais et même si je ne comprenais pas, je sentais que l’un d’entre eux déclamait de la poésie. La musique venait d’Extrême-Orient, quelle finesse, quelle tendresse parmi tant de détresse.
On ferme
Ce 30 juin 2024 est notre dernier jour d’ouverture, nous dit Daria Baibakova, directrice de Nochlechka Moscou. Nous prenons une pause de deux mois afin d’analyser les résultats, préparer la saison hivernale et, espérons-le, rouvrir début septembre.
Au cours des quatre mois pilotes, 134 personnes ont passé par notre Tente, soit au total 1’374 fois.
Ils sont des centaines de milliers. Notre tâche est immense. Merci de nous aider à sauver des vies.
Important, malgré le boycott, nous arrivons quand même à transmettre notre appui financier à Nochlechka.