
Avant les flammes c’est la fumée, son odeur qui vous alerte. Vous regardez par la fenêtre, l’horizon est d’un orange sinistre virant par instant au noir.
C’est fou la vitesse du feu. Moins de deux heures plus tard, avec les autres villageois, je fuyais, abandonnais mon appartement, j’avais tout perdu, raconte Anton, la quarantaine, rencontré au Centre d’Accueil de Moscou.
A répétition
En 2021, en Russie, 19 millions d’hectares ont brûlé. Un record ?
Cette année, les experts du projet russe “ Земля касается меня ” (La Terre nous concerne tous) estiment que 2025 pourrait dépasser le terrible bilan de 2021. Le service météorologique national confirme cette alerte : Le risque de feux de forêt ce printemps est le plus élevé depuis cinq ans, à cause d’un hiver très chaud, pauvre en neige, suivi d’un printemps précoce qui assèche les sols et facilite la propagation du feu. La région de Transbaïkalie, dans le sud-est de la Russie, est la plus touchée.
Ce 30 avril 2025, à 11h15, à 15 km de Bolchaïa Toura, l’incendie fait rage.
Les flammes puis la rue
A 15h00, Anton et ses concitoyens ont vu leurs biens, leurs souvenirs, partir en fumée.
Anton est aujourd’hui sans papier, ils ont brûlé dans l’incendie.
J’avais quelques roubles en poche. Devant la catastrophe, et comme nous étions plus ou moins laissés à nous même, j’ai préféré rejoindre Moscou plutôt que d’attendre l’hypothétique aide étatique. J’y connaissais de vagues cousins. Le périple fut épique.
Dans la capitale, je ne les ai pas trouvés. Ils avaient déménagé sans laisser d’adresse. Je me suis vite rendu compte que dégoter un emploi ne serait vraiment pas simple. J’étais, ou je suis, professeur de langue et littérature russes. Mais avec ma dégaine, je n’ai pas pu me changer depuis l’incendie, tous mes habits sont partis en cendre. Et je suis sans papier. C’est vite la galère.
Fourbe destin
Pendant près de deux mois, j’ai appris ce que c’était le quotidien de la rue, la lutte pour trouver de quoi manger, en général les poubelles des restaurants, boire de l’eau potable, difficile, très difficile, dénicher un lieu où passer la nuit à l’abri des intempéries, à l’abri des attaques. Vous savez, quand on n’a plus rien, on s’en prend au malheureux d’à côté, peu importe, si on arrive à chouraver quoique ce soit qui pourrait améliorer notre triste quotidien, on tombe bien bas, c’est la lutte pour la survie.
Jamais je n’aurais imaginé subir pareille déchéance. Vous pensez, un professeur de littérature. Je suis de ceux qui méprisais les sans-abris, les traitant de bons à rien.
Aujourd’hui, je me rends compte que c’est facile d’en devenir un. L’existence peut être impitoyable.
Sauvé par ses godasses
A force d’errer, d’avaler les kilomètres, mes chaussures sont devenues de vraies épaves, c’est tout juste si la semelle faisait encore un avec le corps de la chaussure. Evidemment, à chaque averse, l’eau s’y engouffrait, j’ai choppé des infections.
Un camarade d’infortune, cela existe, m’a donné l’adresse de Nochlechka. C’est presque pieds nus que je m’y suis rendu.
Là, non seulement ils m’ont soigné, requinqué, habillé de neuf, chaussures incluses, mais ils vont essayer de rétablir mon identité.
Si oui, je tenterai de retrouver mon job de prof. On verra. En attendant, je loge dans leur Centre d’Accueil.
Notre tâche est immense, aidez-nous à qu’ils retrouvent espoir.
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