Article: Natasha Nikolaeva
« A Saint-Pétersbourg, la météo prévoit de forts vents allant jusqu’à 23 m/sec et 20 cm de neige. Les températures glaciales frappent durement les sans-logis. Une personne est morte de froid, dix autres souffrent de graves gelures. Les seuls abris accessibles sont les tentes ouvertes par l’ONG Nochlezhka » débitait l’autre soir la présentatrice du journal télévisé sur N.T.V.
Le citoyen russe, sans papier, n’est rien
Sur l’avenue Kolomiajskij, des silhouettes arqueboutées contre le blizzard cinglant rejoignent l’une des tentes érigées par Nochlezhka.
Devant l’abri encerclé par les congères, je rencontre Olessia 18 ans. Sous ses allures de garçon manqué, malgré sa triste galère, Olessia est coquette:
«Bien que je sois une fille, je ne cherche que des boulots, disons, physiques, nettoyage de la neige ou autres. Pour l’instant, je travaille comme gardienne dans une société commerciale. Le problème c’est le logement. Je suis orpheline. L’Etat devrait m’accorder le droit à un logement mais la corruption et l’indifférence des fonctionnaires sont telles que les orphelins russes deviennent sans abri dès leur sortie de l’orphelinat.»
Le saviez-vous ? En Russie, un citoyen peut-être privé de ses papiers d’identité. Dans cette ville, ils sont plusieurs milliers à braver les intempéries sibériennes. L’an dernier, une centaine d’entre eux furent victimes de la mort blanche.
En 2007, face à cette réalité létale, Nochlezhka interpella les autorités étatiques et ecclésiastiques. En vain. Aujourd’hui, à la place des 18 bivouacs promis par la municipalité, seule l’initiative de Nochlezhka a vu le jour.
Une sauna aux odeurs abrasives
Nochlezhka organise, selon les dons reçus, un ou deux espaces d’environ 60 mètres2 prévu d’héberger pour la nuit jusqu’à 40 personnes démunies de tout. Elles y reçoivent un repas chaud, un espace où s’étendre, des habits adéquats aux températures glaciales et une visite sanitaire. Souvent, 60 êtres humains s’y entassent vaille que vaille.
Du froid mordant à la chaleur d’étuve, fort est le contraste dès que je pénètre dans le refuge toilé. Sur le parterre en contre-plaqué, des tapis de sol colorés égaient le lieu. Fortes sont les exhalaisons humaines. Un coin cuisine-soin attend les nouveaux arrivés. Près de la soupe fumante, un autre orphelin, Alexeï, jeune homme d’environ 19 ans:
« Seuls 3% des orphelins ont accès à un logis. A ma sortie de l’orphelinat j’ai de suite été confronté à cette problématique Je n’ai pas de papier et le seul boulot que l’on m’ait proposé est de nettoyer la neige. Les services municipaux proposent aux sans abri de la déblayer sur les toits, sans aucun moyen de protection, pas de harnais, pas de corde, pas d’assurance, du travail au noir et tout cela pour des salaires miséreux. Il y a des gens qui tombent du toit, on n’en parle pas, car ils sont sans papier, ils n’existent pas. »
Mort couvert de glace
Le problème récurant des sans-papier, Alexandre, 23 ans, le souligne. Depuis près de deux ans il survit dans la rue. Une tasse de thé en main, Alexandre raconte :
« Le plus dur c’est de se nourrir. Je recueille des bouteilles en plastique et en verre et je les apporte au point de collecte : mon gain : 60 roubles par jour (1,5 euro). C’est impossible de vivre comme ça. »
– « Cet hiver, j’ai 4 potes qui sont morts, morts de froid. L’un d’eux, Andrei, était tout jeune. Il avait peut-être 15 ans. Il a trépassé couvert de glace, tout gelé. »
Et dire qu’à Saint-Pétersbourg, il y a des milliers d’Alexandre, d’Alexeï, d’Olessia…