Il y a des gens qui naissent avec le don de s’inventer un passé mirifique. Vitaly est l’un d’entre eux qui pense qu’il n’est pas un sans-papier comme les autres.
Vitaly, ses cheveux passés méticuleusement à la brillantine, rappelant quelques acteurs du cinéma muet, son visage expressif, son corps sans cesse en mouvement, est un habitué de l’hôpital Botkin.
Lors de ses visites, Vitaly est en représentation permanente, il adopte une attitude seigneuriale, toisant, avec une certaine suffisance, le personnel soignant comme si lui, Vitaly, provenait d’une classe sociale supérieure. Même lorsqu’il quémande un quignon de pain, Vitaly habille sa demande de gestes déclamatoires mariant fierté et noble politesse.
Le pain de Vitaly glougloute
Dans son dos, à ce moment là, les mauvaises langues disent «le pain de Vitaly glougloute». Aujourd’hui Vitaly est venu montrer sa jambe endolorie, demander une paire de chaussettes sèches.
Les siennes sont mouillées et cachent de nombreux ulcères.
Vitaly proclame alentour qu’il a marché une demi-journée pour être là. Grand seigneur, il refuse le café offert prétextant une tension trop haute.
Bavard à souhait, la chaleur du lieu et les saucisses goulûment mangées réveillent sa verve.
Maman fut pionnière de l’aviation
« Ma famille était célèbre. Maman fut une pionnière de l’aviation civile. Mon grand-père a inventé le véhicule qui permet d’inspecter les voies de chemin de fer. (Draisine) Peut-être avez-vous vu ce modèle au musée ? »
D’un saut Vitali descend de la table de consultation et pieds nus sur le carrelage inspecte une pile d’habits. Grandiloquent il demande au médecin «Vous n’auriez pas une paire de pantalon ?»
Alexander Sandomierz, un psychologue, volontaire chez Nochlezhka, explique: « Il n’y a aucune manière de savoir si ce que Vitali raconte est vrai ou tient simplement de l’affabulation.
Peu importe d’ailleurs son histoire de famille, si elle lui permet d’exister, de penser qu’il n’est pas un sans-papier comme les autres et lui facilite, un peu, la dure survie de la rue. »