Je suis ici tous les soirs, par tous les temps, debout, stoïque, j’arrive à 19h30, les portes de l’Abri de nuit ouvre à 20h00. Vous comprenez, explique Elmira Mamedalievna, 71 ans, je dois bien me nourrir, dormir sous un toit.
Elmira, assise sur son lit, un bol de soupe fumant dans les mains, raconte son incroyable parcours.
Prisonnière des Moudjahidines
Je suis né à Bakou. Après l’école, je suis entrée à l’Institut Plekhanov de Moscou pour devenir économiste-expert en matières premières. Diplômée avec mention, j’ai exercé ma spécialité à haut niveau. En 1981, j’ai été envoyée en Afghanistan, un voyage d’affaire qui a mal tourné.
Les moudjahidines m’ont enlevée. Deux mois à crapahuter dans les montagnes, se cacher d’une grotte à l’autre, dure, très dure. Cela a duré deux longs, très longs mois. C’est Andropov qui a œuvré à ma libération. Vous imaginez, le secrétaire général de l’URSS en personne.
Le basculement
A Moscou, j’avais une famille, un mari, Azerbaïdjanais comme moi, un fils, Kerem. Quand il a eu 24 ans, nous avons organisé son mariage, nous avons trouvé son épouse à Bakou. Ce sont nos coutumes.
En route pour les noces, nous avons eu un terrible accident de voiture, mon fils, mon mari tués sur le coup. Je me suis retrouvée à l’hôpital, seule, toute seule. Un an que je suis restée alitée, le temps qu’ils me rafistolent. Il y a 17 ans de cela.
Je n’ai même pas pu assister à l’enterrement, j’étais trop mal en point.
Mon frère vit au Canada et il m’a prise chez lui, cela n’a pas joué, j’étais bien trop déprimée, trop loin des tombes de mon fils, de mon mari.
Je suis rentrée à Moscou. Je passais toutes mes journées au cimetière, tous les jours. Je me débrouillais avec les horaires de travail partiel que j’avais trouvé.
La rue
Et puis, un jour, devant leurs tombes, un élan irrésistible, incompréhensible, m’a entrainé à la gare de Léningrad. J’étais dans un état second, j’ai pris un train pour Saint-Pétersbourg.
Et quand j’ai repris mes esprits, je marchais sur l’avenue Nevski.
J’ai loué une chambre dans une auberge et j’ai additionné les petits boulots, administratrice d’un dortoir, vendeuse puis caissière principale dans divers magasins de vêtements.
Sincèrement, je ne sais pas pourquoi je ne suis pas retournée à Moscou. C’est comme si ce pan de mon existence avait disparu. Comme une amnésie.
Puis j’ai eu un accident vasculaire cérébral. Quand j’ai quitté l’hôpital, je n’ai trouvé de travail nulle part, je n’ai plus pu payer le loyer. Ce fut la rue Je n’avais même pas assez d’argent pour un quignon de pain.
De la gare à l’Abri de nuit
J’ai survécu à la gare de Ladozhsky pendant près d’un an. Dure apprentissage que celui de la rue. Je me suis rappelée mes deux mois en captivité chez les moudjahidines, cela m’a peut-être aidée, un peu.
Trouver de la nourriture, un toit, être toujours sur ses gardes. Pour une femme sans-abri, le quotidien est bien plus pénible.
Je ne sais pas pourquoi mais il m’a fallu une année de dégringolade physique, morale, pour enfin entendre parler de Nochlechka. Tout d’abord du Bus de nuit et maintenant de cet Abri de nuit.
A ce refuge, le personnel est des plus attentifs. Ils sont aussi très réactifs. Ils font tout leur possible pour que nous autres, les sans-papiers sans-abris, ne se sentent pas abandonnés. Pour que nous nous sentions des êtres humains, pour que nous ne tombions pas encore plus bas.
Notre travail humanitaire est immense. Nous avons besoin de votre soutien, merci de nous aider à sauver des vies.
Important : malgré le boycott bancaire, notre aide financière se poursuit.